MER ET MARINE : Le doyen des pilotes français prend sa retraite

A l’aube de ses 70 printemps et après quatre décennies passées au syndicat des pilotes des ports de Marseille et du golfe de Fos, Jean-Xavier Pastinelli, le doyen et dernier capitaine au long cours des pilotes français, prend sa retraite. Il s’est arrêté le 1er juillet après avoir pis la barre de son dernier navire, le Kalliste, de La Méridionale, qui sous forme de clin d’oeil arrivait de Corse, sa terre natale. Du superpétrolier Batillus aux plus grands paquebots européens, en passant par un porte-avions nucléaire américain et une multitude de navires de commerce… Jean-Xavier Pastinelli a pris la barre de centaines de bateaux pour les guider de son oeil expert dans les chenaux, les passes, les bassins et les terminaux phocéens, qu’il connait évidemment par coeur. Né le 27 août 1942, ce Corse est originaire de Letia Saint-Martin, un village du sud de l’île d’où viennent, pour la petite histoire, plusieurs pilotes de Marseille et d’Ajaccio. « C’est un métier mais aussi une passion. Du coup, on en parle à la maison et ça donne des idées aux jeunes !», plaisante-il. C’est d’ailleurs en écoutant son père – qui était lui aussi pilote – raconter son travail que le jeune Jean-Xavier a décidé de devenir officier de la Marine marchande et plus tard de suivre ses traces. « Tout gosse, je l’entendais parler de pilotage, j’aimais la mer et on avait un voilier, j’ai toujours baigné là dedans ».

Premier embarquement sur le paquebot Provence en 1959

C’est à 17 ans qu’il réalise son premier embarquement. « C’était durant l’été 1959, j’étais encore au lycée et, pendant les vacances, mon père m’avait fait embarquer comme pilot (pilotin, qui était à l’époque ce qu’on appellerait aujourd’hui un stagiaire, NDLR) sur le paquebot Provence, de la SGTM, la Société Générale des Transports Maritimes, qui était basée à Marseille. Ce fut ma première initiation à la navigation », se souvient-il avec le sourire en repensant à différentes anecdotes de cette première immersion dans la vie de marin. Convaincu de vouloir embrasser ce métier, il entre en 1961 à l’Ecole de la Marine marchande de Marseille, qui était alors située à la Villa Valmer, sur la corniche. Pour sa seconde année d’études, en 1962/1963, il part au Havre et fait partie des premiers élèves de la nouvelle école installée à Sainte-Adresse. « Je me souviens qu’il y avait beaucoup de Méridionaux qui ne voulaient pas monter là haut. On était en internat, à quatre par chambre, sur des lits style militaire. C’était assez spartiate mais j’en garde de bons souvenirs, on a finalement bien rigolé au Havre ».

Le Richelieu et les dragueurs côtiers dans la Marine nationale

A la fin de sa deuxième année, comme tous les élèves de sa promotion, Jean-Xavier Pastinelli part naviguer. Il embarque, ainsi, sur les navires des Messageries Maritimes, sur les cargos et au pétrole, en commençant par l’Indus, pour une durée plus longue que prévue : « A l’époque, on a fait pas mal de temps d’élève car le secteur était complètement bouché et il n’y avait pas beaucoup de postes. On devait faire 6 à 12 mois d’embarquement normalement mais, en fait, on est restés 24 mois ». Vient ensuite le service militaire. Nous sommes en 1965 et le jeune élève gagne Brest où il monte à bord de l’un des grands mythes de la Marine nationale : le cuirassé Richelieu.

« Quand on était incorporés, on allait faire le cours de l’Ecole des officiers de réserve. C’est ainsi que j’ai embarqué sur le Richelieu, où on a d’ailleurs dormi sur des hamacs pendant quatre mois. On a eu de bons moments là bas, avec notamment des cours de manoeuvre sur des remorqueurs à vapeur, c’était bien. Ensuite, une fois l’école terminée, on a pu choisir notre affectation. Nous étions alors une bande de copains et on est partis à Toulon sur une escadrille de dragage, dont les bateaux portaient des noms de fleurs ». Jean-Xavier Pastinelli embarque sur la Renoncule, un dragueur de mines côtier cédé par les Etats-Unis dans les années 50, et réalise différentes missions en Méditerranée. Là aussi, comme pour son temps d’embarquement d’élève aux Messageries, il joue les prolongations dans la marine : « Le service militaire durait 18 mois à l’époque mais, à l’arrivée, j’ai fait 6 mois de plus ! »

Capitaine au long cours

Après avoir quitté l’escadre de la Méditerranée en avril 1967, Jean-Xavier Pastinelli rembarque sur les navires civils pendant six mois. Il pose son baluchon chez Paquet, à Marseille, et monte à bord du paquebot Lyautey, qui était exploité sur une ligne desservant le Maroc et le Sénégal. Puis il passe sur le cargo mixte Général Mangin, qui desservait lui-aussi l’Afrique. C’est donc avec, déjà, une belle expérience et de nombreux mois de mer à son actif que le jeune lieutenant débute, en octobre 1967, sa troisième et dernière année d’études. Il revient à l’école de navigation de Marseille mais, cette fois, pas à la Villa Valmer mais dans le tout nouveau site de la Pointe Rouge. « C’était une très belle école à l’époque, elle était toute neuve. Ce qui est drôle, c’est que je l’ai aussi inaugurée, comme celle de Sainte-Adresse ». C’est là que l’officier décroche son diplôme de capitaine au long cours et part découvrir le monde avec les Messageries Maritimes.

A la découverte du monde avec les Messageries Maritimes

Quand il parle de cette compagnie, Jean-Xavier Pastinelli est intarissable : « Après le cours de capitaine en 67, je suis repartis aux Messageries Maritimes. Ca a vraiment été ma compagnie de coeur ». La Marine marchande française vit alors un certain âge d’or, surfant sur le développement du commerce international, notamment avec les anciennes colonies. Armement national, les Messageries ont alors une très belle réputation et les marins français y bénéficient d’excellentes conditions de travail. « C’était une compagnie d’Etat où les officiers avaient un certain prestige. On y était très bien et nous pouvions profiter des voyages car, à l’époque, il y avait moins de contraintes de rendement. Et il y avait des lignes vraiment sympas, notamment vers l’Asie et le Japon, où naviguaient des navires qu’on appelait les « Blancs » en raison de la couleur de leur coque : le Cambodge, le Vietnam et le Laos ». Jean-Xavier Pastinelli embarque aussi sur les lignes desservant Tahiti, la Nouvelle-Calédonie et l’Australie, où l’on trouvait le Tahitien, le Calédonien ou encore le Mélanésien, qui « faisaient des voyages de 3 mois et 20 jours via le canal de Panama ». Et il navigue également sur les « Noirs » de la compagnie (La Bourdonnais, Pierre Loti, Jean Laborde, Ferdinand de Lesseps) vers Madagascar, La Réunion et l’île Maurice. Ces années au sein de la défunte compagnie française resteront pour le jeune officier qu’il était à l’époque inoubliables : « C’est avec les Messageries que j’ai parcouru le monde ».

Dans les pas de son père chez les pilotes de Marseille

Mais Jean-Xavier Pastinelli ne restera finalement que quelques années à naviguer au long cours. Il souhaite en effet devenir pilote. Il se présente au concours lorsque l’administration de tutelle décide d’ouvrir deux places, et il est admis. Le 1er octobre 1971, il intègre le pilotage de Marseille et travaille quelques mois avec son père, qui part en retraite le 31 décembre de la même année. Le fils prend alors la relève d’un père qui a marqué l’histoire de la station : « Papa était aussi capitaine au long cours et il est entré en juin 1939 au pilotage. Après guerre, il s’est passionné pour les projets liés au plan de reconstruction. A la station, il s’est occupé du matériel. D’abord la reconstruction de la maison du Frioul, puis la réalisation de nouvelles pilotines, en bois au début, et ensuite en polyester. Les premières ont été construites dans le Finistère, chez Sibiril au tout début des années 60, puis à Marseille avec Mauric ». Georges Pastinelli fut également l’un des artisans de la construction du dock, réalisé en 1965 par les chantiers de Provence à Port-de-Bouc. Toujours en service, cet équipement permet aux pilotes marseillais d’effectuer eux-mêmes la maintenance et les réparations de leurs vedettes. « C’est un ponton flottant automoteur en forme de U. On entre par l’arrière et on met la pilotine au sec grâce à un élévateur électrique. Grâce à cet outil, on peut enlever les moteurs et faire la mécanique nous-mêmes. Comme il y a un tourneur à la station, on fait les pièces directement ». On notera que l’autre particularité de la station phocéenne est, par ailleurs, qu’elle réalise ses propres bateaux depuis que le syndicat des pilotes a repris le chantier d’Edouard Pombo à Martigues il y a une douzaine d’années.
C’est donc grâce à un père passionné par son métier que Jean-Xavier Pastinelli a décidé de ne pas continuer à courir le monde mais de poser son sac à Marseille et d’embrasser le même métier.

« La seule chose qui n’a pas changé c’est l’échelle de pilote »

Pour Jean-Xavier Pastinelli, 1971 marque le début d’une très longue aventure, qui durera finalement 40 ans et 9 mois, un record pour un pilote français. A 55 ans, il aurait déjà pu prendre sa retraite mais, à l’époque, il a décidé de continuer. « J’étais encore en forme et j’avais envie de continuer un peu. Et les années sont finalement passées très vite. Cette fois, l’administration ne me laissait plus vraiment le choix mais c’est aussi bien puisqu’à un moment donné, il faut arrêter ». En quatre décennies, le doyen des pilotes français a vu le monde maritime évoluer considérablement. Il est loin le temps des Messageries Maritimes : La flotte marchande française est aujourd’hui réduite à sa portion congrue, les équipages sont internationaux, les mentalités et l’ambiance ont évolué sur les bateaux. De passage sur les passerelles pour guider les navires dans le port, Jean-Xavier Pastinelli a pu mesurer le changement au fil des années. Un changement humain, mais aussi technique, avec des navires de plus en plus complexes et de plus en plus gros. « Finalement, en quarante ans, la seule chose qui n’a pas changé c’est l’échelle de pilote, car c’est ce qu’il y a de mieux, même si certains armateurs sont radins et mettent des échelles qui ne sont pas bonnes, avec des marches trop espacées », lance-t-il.

Pour le reste, l’évolution a été considérable : « La sécurité a été beaucoup renforcée. Il y a les radars, l’ECDIS avec la position GPS du navire, le système d’identification AIS… Ca s’est vraiment rapproché de l’aviation. Au niveau des machines, il y a eu une nette amélioration, c’est beaucoup plus puissant et rapide aujourd’hui. Avant, sur les pétroliers de 250.000 ou 300.000 tonnes par exemple, on avait des machines à vapeur qui n’avaient pas le rendement et la puissance pour manoeuvrer que l’on trouve aujourd’hui. Et puis les propulseurs, notamment d’étrave, se sont généralisés, ce qui facilite grandement la manoeuvre. Sur les derniers paquebots mis en service, on a quand même plus de 10.000 cv sur les propulseurs à l’avant, c’est appréciable ». En quarante ans, la taille de certains types de navires a, également, significativement augmenté, notamment pour les paquebots et les porte-conteneurs : « Les grands porte-conteneurs mesurent aujourd’hui plus de 360 mètres mais, sur les derniers, la passerelle est haute et surtout ramenée sur l’avant, ce qui fait qu’on maîtrise mieux les distances. En revanche, les tirant d’eau sont très importants, ce qui rend ces navires très lourds à manier ».

Une page d’histoire marseillaise

De toutes ces années, Jean-Xavier Pastinelli garde de nombreux souvenirs et un nombre incalculable d’anecdotes, dont certaines ne peuvent se dire, ou du moins s’écrire. Au niveau des bateaux, certains l’auront marqué. C’est le cas bien entendu du Provence, lors de son premier embarquement, de ses belles années aux Messageries, ou encore de son premier navire en tant que pilote : « Un cargo des chargeurs réunis, avec plein de mâts de charge, sur lequel je suivais un pilote pour apprendre mon métier ». Sans oublier de grands paquebots, comme le Norway (ex-France) ou le Queen Mary 2, un porte-avions américain, l’USS Theodore Roosevelt, venu en 2002. Et puis, plus lointaine, cette journée sur l’un des plus gros pétroliers du monde, le Batillus, un géant de 414 mètres de long, 63 mètres de large et plus de 550.000 tonnes de port en lourd, sorti en 1975 des chantiers de Saint-Nazaire. « C’est l’un des bateaux qui m’ont le plus marqué. Il était venu en réparation à Marseille. Je me rappelle qu’à la passerelle, on avait l’impression optique d’être toujours près de la côte, tant ce navire était gigantesque ».

Le Batillus à Saint-Nazaire (© : DROITS RESERVES)

Mémoire historique du port de Marseille à lui tout seul, Jean-Xavier Pastinelli a connu tous les grands acteurs portuaires et les responsables du pilotage marseillais sur un demi-siècle : Léon Bétous, ami proche de son père, qui a relancé le pilotage à la libération, fut président de la chambre de commerce et président du port, qu’il redressa quand Charles De Gaulle était chef de l’Etat et Olivier Guichard ministre de tutelle (ce fut notamment la création du port de Fos) ; Pierre Poudevigne, qui après le pilotage fonda la Comex avec Henri Delauze ; Antoine Marcancetti, à l’origine de la création de la fédération internationale (IMPA) et de la fédération européenne (EMPA) des pilotes, ainsi que de l’Institut Méditerranéen des Transports Maritimes (IMTM). Et ensuite Jacques Truau, qui est resté 28 ans à la tête de la station de pilotage, fut ancien président du port et est aujourd’hui à la tête du Club de la Croisière de Marseille. Et puis, plus récemment, Pierre Ortolan, Patrick Payan et Jean-Philippe Salducci, qui se sont succédés à la tête du syndicat des pilotes marseillais.

« Mon seul regret c’est d’avoir 70 ans »

Aujourd’hui, la station, forte de 50 pilotes et 13 vedettes, sert 19.000 navires par an dans le premier port de France. Et, alors que la réforme portuaire a été mise en oeuvre l’an dernier, tous les acteurs locaux espèrent que l’activité va croître. Pour cela, de nouveaux projets sont en chantier ou à l’étude, avec toujours une participation active des pilotes qui apportent leur expertise sur les accès nautiques. Jean-Xavier Pastinelli ne manquera évidemment pas de suivre l’évolution du port et de son ancienne maison. D’autant que le pilotage est devenu une histoire familiale, son fils ayant pris la relève à Marseille. « Le pilotage c’est un beau travail, c’est un métier varié, mais aussi plus difficile qu’il n’y parait. Sur les horaires puisqu’on est amenés à travailler de nuit et il y a de l’activité tous les jours dans le port. Et puis les conditions météo : l’hiver dans le golfe de Fos, il y a souvent une forte houle et ça nous est arrivé de sortir avec des creux de 6 ou 7 mètres, ce qui rend les embarquements et débarquements difficiles ». Pour le doyen de la profession, une chose est en tous cas certaines : ce métier nécessite une vraie expertise et beaucoup de vécu. « Le pilotage, c’est un métier d’expérience et de savoir-faire. Il n’y a pas de secret, il faut être le plus possible sur les passerelles, multiplier les bateaux pour maîtriser toutes les situations ». Dans la voix, la passion est omniprésente et on sent aussi l’émotion bien légitime que les amoureux de leur métier ressentent en fin de carrière. Une vie professionnelle bien remplie pour laquelle Jean-Xavier Pastinelli pense ne pas avoir manqué grand-chose : « Mon seul regret, c’est d’avoir 70 ans »…

 

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Publié dans Médias